Dans mon article E comme Eté,
je vous avais proposé la transcription de la première partie du journal de mon
AAGM Léontine DUPUY qui racontait ses vacances d’été entre 1879 et 1913.
Aujourd’hui, je vous propose la suite de ce journal avec le
récit d’une mère qui voit partir ses enfants à la guerre en 1914.
Albert, Léon et
Georges TAJASQUE
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Journal de leur mère Léontine DUPUY
épouse TAJASQUE entre 1879 et 1916
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042
Eté 1914
Ayant cette année le bonheur d’avoir mes
enfants en congé, nous avions projeté d’aller de nouveau à Engelberg ; nos
préparatifs étaient faits et notre départ fixé au 27 juillet, lorsque la veille
dimanche 26 les journaux annonçaient que l’Autriche Hongrie avait
déclaré la guerre à la Serbie ; la Russie promettant son appui à cette
petite puissance, c’était pour nous une guerre très prochaine en perspective,
comme alliés de la Russie ; il était donc prudent de retarder ce
départ ; nous supposions que ce ne serait d’un retard, espérant toujours
que les chefs d’Etat hésiteraient avant de mettre l’Europe à feu et à sang.
Hélas, ce que l’on redoutait et ce que l’on souhaitait tout à la fois éclata le
1er août ; A 5h, au moment où Pierre, commandant un contre torpilleur,
nous faisait ses adieux,
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043 - le canon retentit,
la générale, comme un glas funèbre annonçait la mobilisation ; quel
affolement, quelles angoisses pour les mères et les épouses, qui s’arrachaient
des bras de ceux qu’elles chérissaient. Mon jeune fils Georges accompagné de sa
cousine Simone, me conduisit à l’église St Louis. J’ai vécu ce jour-là les
heures les plus atroces de mon existence.
Lundi
3 août
Après avoir recommandé mon fils à la
Vierge, je me traînais péniblement de magasin en magasin pour l’achat des
objets indispensables à mon Geo. Il nous quitta le lundi 3 août 1914 à 5h30 du
matin. J’eus le courage de l’embrasser sans verser une larme, ce dont je me
serais crue incapable. Accompagné de son père et de son frère Léon, j’ai vu du
balcon s’éloigner cet enfant, je lui adressai de la main un dernier adieu, et
je
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044 - rentrai à bout de forces me prosterner au pied de la Vierge. Je l’invoquai pour mon
Petit, lui demandant de me le ramener et j’adressai les mêmes prières à ma bonne
maman.
La guerre ! la guerre ! Que de
fois j’ai dû répéter ce mot qui fait frémir pour bien me convaincre que
tout ce qui venait de se dérouler n’était pas un horrible cauchemar !
Mardi
4 août
J’ai écrit à mon cher petit à Marseille.
Que de tristesse autour de moi, que de larmes…
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045 - Mercredi 5 août
Ce matin à 5 heures mon fils aîné, qui se
trouvait à Vichy, est arrivé après un voyage de 40h dans un fourgon ; il
était en congé de convalescence et s’est mis à la disposition du général.
Jeudi
6 août
Albert est affecté au dépôt du 113e
territorial.
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046 - Vendredi 7 août
J’ai reçu la 1ère lettre de mon
fils datée du 3e jour de son départ ; ces quelques lignes,
pleines d’enthousiasme, m’ont un peu consolée.
Samedi
8 août
Reçu la 2e lettre de Geo datée
du 4.
Dimanche
9 août
En rentrant de la messe, reçu un télégramme
de Geo annonçant son départ de Marseille : « très content, bonne
santé ».
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047 - Lundi 10 août – Mardi 11 août
Reçu lettre de Geo à son arrivée à Orange,
il m’annonce qu’il n’y restera que deux jours, ce qui me navre c’est que le
pauvre enfant ne reçoit aucune lettre, toute la correspondance va à Draguignan
où on la retient. Dans l’après-midi, j’ai eu une 2ème lettre de Geo
qu’il avait confiée à madame Roman notre locataire du 1er. Cette dame
était allée à Orange voir son fils, elle a donc pu rassurer mon enfant au sujet
de notre santé.
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048 - Mercredi 12 août
Reçu de Géo sa 3ème
lettre d’Orange m’annonçant son prochain départ pour Dijon et Toul ensuite. Il
est impatient d’y être. Mon Dieu protégez-le.
Jeudi 13 août
Pas de nouvelles de mon
Geo ; sa lettre me manque pauvre Petit, je sais que c’est indépendant de
sa volonté car il m’écrit chaque jour ; c’est ce que je fais aussi, mais
moins favorisé que moi, il ne reçoit pas mes lettres ; il est peut-être en
route au moment où j’écris ces lignes. Mon bon cher Petit !
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049 - Vendredi 14 août
Encore rien. Mon Dieu ! Où
est-il ?
Samedi 15 août – assomption
Je viens de faire la
communion ; j’ai recommandé mon cher enfant à la Sainte Vierge, donc c’est
la fête aujourd’hui, elle ne peut donc rien me refuser. Pas de nouvelles !
Dimanche 16 août
Ce matin, à la 1ère
heure, j’ai eu une lettre d’Orange datée du 13 août et une carte du 14 en gare
de Chalons sur Saône. Dans sa lettre, mon fils me dit qu’ils vont quitter
Orange pour aller d’abord à Is sur Tille à 10 km au-dessus de Dijon. Je
tremble, mon dieu, il s’achemine vers la frontière. Protégez-le ! Ramenez-moi
mon fils ! Il pleut aujourd’hui pour ces petits soldats qui coucheront sur
cette terre humide.
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050 - Lundi 17 août
Pas de nouvelles encore !
Mon Dieu donnez-moi la force de supporter ces angoissantes journées qui
s’écoulent si tristement.
Mardi 18 août
J’ai appris par Thérèse que son
fils était à Mirecourt avec son régiment et qu’on attendait différents corps
d’armée dont le XI ; c’est celui auquel est affecté mon Geo ; le
voilà bientôt sur le théâtre de la guerre !
Mercredi 19 août
Toujours rien, c’est atroce de
se demander à toutes les heures de la journée, que dis-je, à toutes les
minutes : où est-il ? Mon Dieu, mon Dieu ! Protégez mon Petit,
rendez-le à sa mère, ayez pitié de toutes les pauvres mères qui souffrent comme
moi.
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051 - Jeudi 20 août
Enfin je suis heureuse, j’ai
reçu ce matin un télégramme de mon fils en date du 19 de Haroué. Nous nous
sommes précipités sur l’atlas pour chercher ce nom qui nous était inconnu et
nous l’avons trouvé près de Nancy. Je lui ai aussitôt envoyé une réponse
télégraphique mais la poste l’a refusée disant qu’elle n’acceptait rien pour ce
département et celui des Vosges. J’ai donc envoyé une carte à Marseille son
point de départ, et une autre à Haroué ; peut-être en recevra-t-il une sur
deux car il n’a encore pas de mes nouvelles. Il pleut depuis ce matin, c’est
encore plus triste et je songe que nos petits soldats doivent avoir froid
peut-être avec ce vilain temps.
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052 - Vendredi 21 août
Rien. Mon Dieu ! Ne m’abandonnez
pas, donnez-moi des nouvelles de mon fils.
Samedi 22 août
Pas de nouvelles de Geo. Nous
sommes tristes, très tristes, il nous semble que les Allemands gagnent du
terrain en Belgique. Ceux qui sont rassurants, comme mon cher Albert,
m’affirment que cette marche en avant était prévue, que les Belges devaient
reculer, abandonner Bruxelles, pour concentrer les forces à Anvers et Namur ;
est-ce bien vrai mon Dieu ? Je redoute tant une défaite qui découragerait
nos vaillants soldats. On dit qu’il y a beaucoup de blessés et tués dans le 111
et le 112e.
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053 - Dimanche 23 août
Je verrai s’écouler cette
journée sans qu’elle m’apporte le mot, le petit mot si impatiemment attendu. Où
est mon cher enfant au moment où j’écris ces lignes ? Mon bon cher mari
devient bien pessimiste, tout en disant « je crois que nous serons
victorieux » il ajoute mais !... Nous avons à faire à forte
partie ; d’après le plan de nos ennemis ils visent à entrer dans Paris.
Lundi 24 août
Il semble qu’un vent précurseur
d’orage nous menace ; tout le monde est triste, morne ; on s’aborde
par ces mots : « eh bien ! Qu’en pensez-vous ? Qu’allons-nous
apprendre ? Je crois que ça marche mal ». Les pessimistes ont beau
jeu ; quant à moi je me rallie du côté de ceux qui disent comme mon mari
et mes fils : ne nous laissons pas abattre par quelques échecs ; les
plus grandes guerres de l’Empire ont
Page
054 - eu des
jours malheureux avant la victoire finale. Nos ennemis sont redoutables, il
faut en convenir, mais ayons confiance, nous avons pour nous le bon droit et
avec nous des amis fidèles, les russes nos alliés marchent à grands pas vers Berlin,
ce que Mon Dieu je veux croire et espérer, mais je voudrais aussi avoir un
petit mot de mon cher enfant.
Mardi 25 août
Fête de St Louis roi de France.
Je l’ai bien invoqué ce matin dans l’église qui porte son nom, son autel était
entouré de drapeaux francs. Le vent menaçant s’est déchaîné par une nouvelle
que l’on a de la peine à croire, nouvelle publiée par le Matin du sénateur
Gervais ; il prétend que le 111e et le 112 ont fui devant l’ennemi. Il flétrit les
soldats du Midi.
Page
055 - La Provence entière
se soulève d’indignation ; en admettant que quelques défaillances
individuelles aient pu se produire, faut-il pour cela englober toute une
province dont les enfants sont partis les premiers au feu et en admettant que
tout un régiment se soit dérobé, n’est-ce pas monstrueux que de le révéler à
nos ennemis et à nos alliés ; c’est de la lâcheté et un acte pareil mérite
un juste châtiment.
Mercredi
26 août
Je rentrais ce matin de la messe avec
Simone quand nous avons aperçu le facteur au coin de l’avenue ; nous
l’avons attendu pour lui demander si nous n’avions pas de lettre ; il en
avait une précisément de mon Geo, mais elle était datée du 18 tandis que son
télégramme était du 19 ; malgré cela j’ai éprouvé une joie infinie à lire
ces quelques lignes d’Haroué où ils sont arrivés après
Page
056 - une
marche de 20 km sous une pluie battante. Le cher Petit me dit qu’il s’est vite
habitué au port du sac, aux marches et au couchage sur la paille ; il me
donne l’assurance qu’il est en bonne santé et surtout enchanté de faire cette
campagne. Il me recommande le courage. Oui ! J’en aurai mon chéri je te le
jure. Simone vient de recevoir un télégramme de Pierre à cette même date.
Jeudi
27 août
J’ai eu ce soir une carte de Geo datée du
15 et venant de Méricourt ; voilà comment est fait le service postal, les
employés mettent les correspondances de côté au fur et à mesure de leur arrivée
et les expédient au gré de leur fantaisie. Léon a reçu également la même carte
de son ami Mège qui lui dit qu’il voit son frère à tout instant et qu’il
est en bonne santé.
Page
057 - Vendredi
28 août
C’était une messe à l’intention de
grand-mère, celle de chaque mois, je l’ai bien priée cette bonne maman pour
qu’elle veille sur son petit-fils, et que j’ai des nouvelles le plus tôt
possible. Comme c’est long à venir, Mon Dieu !
Samedi
29 août
Encore rien, voilà exactement 10 jours
depuis le télégramme du 19 août. Où est-il maintenant que l’on dégarnit la
frontière de l’Est ? Sans doute sur
la frontière du Nord, me dit Albert. Il suit le XIIe corps d’armée qui a été
déplacé. C’est ce qui expliquait ce long arrêt dans les nouvelles ; toutes
les mères que je connais sont dans le même cas. Espérons !
Dimanche
30 août
Pas de nouvelles. Le matin madame Ronan est montée
me faire voir une lettre de son fils toute récente, cela me fait encore plus
regretter de n’en pas avoir. Léon veut me rassurer en me disant que son ami Mège a
envoyé un télégramme ainsi conçu : tous en bonne santé ; il prétend
que Jojo est compris dans ce pluriel de tous. Mon Dieu faites qu’il en soit
ainsi.
Lundi
31 août
Rien ! Rien ! Je suis
désolée ! Je viens d’envoyer un télégramme, où ira-t-il ? Lui
parviendra-t-il seulement ? Mon Dieu que je suis triste aujourd’hui.
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059 - Mardi 1er
septembre
Je suis de plus en plus inquiète ; ce
manque de nouvelles est insupportable, atroce, mon dieu que je souffre en
pensant à ce Petit, que lui est-il arrivé ? Que vais-je apprendre ?
Mon Dieu ayez pitié de moi. Je crois que je deviens folle ! J’apprends que
plusieurs toulonnais sont ou blessés ou morts, c’est terrible !
Mercredi
2 septembre
Ce matin à 11h30 je
rentrais à la maison lorsque
j’ai trouvé un télégramme à l’adresse d’Albert. Tout d’abord cela m’a paru
assez naturel, puis réflexion faite je me suis demandée si ce télégramme
n’était pas porteur d’une mauvaise nouvelle en s’adressant sans doute à mon
fils aîné pour le préparer à apprendre…. Mon Dieu ! Que mon cœur battait
fort en tournant et retournant ce
Page
060 - petit papier
bleu ! Que j’aurais voulu lire au travers. J’étais anxieuse lorsque mon
mari rentrant à la maison, et à qui je fis part de mon inquiétude, me dit
« attendons jusqu’à midi 30, si Albert n’est pas rentré nous l’ouvrirons.
A ce moment même mon fils arrivait. Je lui tendis son télégramme en lui
disant : tu vas me jurer de me dire si ce télégramme concerne ton
frère ; Albert toujours calme et souriant l’ouvrit et en m’embrassant bien
tendrement me dit : rassure-toi petite mère ce télégramme n’est que pour
moi seul, je te le jure. A 5h j’entendis sonner deux fois ; je courus
à l’escalier et j’entendis ma chère
Simone me dire : Tante un télégramme pour toi, veux-tu que je
l’ouvre ? Oui, oui, dépêche-toi ; dis-moi si c’est de Georges. En
effet, c’était bien mon Petit qui me
Page
061 - disait : reçu
lettre, santé excellente. Mais où est-il ? Mention : sans origine.
Nous avons pleuré de joie en nous embrassant. Oh ! Comme j’ai remercié
Dieu d’avoir eu pitié de moi !
Jeudi
3 septembre
Rien de nouveau.
Vendredi
4 septembre
Je ne suis pas contente. Mon Albert m’a dit
à midi qu’il serait obligé de rester à Hyères parce qu’étant caporal il serait
désigné pour instruire les recrues. Il a donc fait provision d’insecticide pour
endormir les vilaines bêtes qui ont élu domicile dans les lits de la caserne.
Voilà qui n’est pas réjouissant et lui promet de bonnes nuits. Je suis allée
Page
062 - voir mme Bargone,
arrivée le matin même de Paris, pour qu’elle ait la bonté de parler au Colonel Lemerle
afin de prendre Albert au bureau de la place ; réussirons-nous ?
Samedi 5 septembre
Albert n’est pas venu déjeuner,
j’en suis toute triste. J’ai revu mme Bargone, elle m’enverra la réponse du
colonel.
Dimanche 6 septembre
Reçu une carte de notre Petit,
sans origine, il avait eu le soin de barrer au crayon encre le nom du village
représenté mais avec une gomme j’ai effacé le crayon et j’ai réussi à voir
Lorraine illustrée et un nom commençant en La et terminé en Ville. Un point
c’est tout. Cette carte était datée du 27 août.
Page
063 - Lundi 7 septembre
Très occupée par les démarches
faites pour Albert. Je viens de recevoir la réponse de mme Bargone. Papa ira
demain à Hyères voir le commandant ; puissions-nous réussir !
Mardi 8 septembre
Le commandant s’est montré
aimable, Albert lui écrira pour rendre ses galons et après ce sera l’affaire du
colonel L.
Mercredi 9 septembre
Quelle pluie ! Véritable
déluge. Nos rues vont être bien nettoyées ; les ruisseaux sont des
torrents. Tout cela me fait songer à mes pauvres petits soldats qui ce soir
n’auront que de la paille humide pour se reposer après une journée de fatigue.
Ah quelle cruelle guerre ! tu seras cause de bien des douleurs. Que de
mères et que d’épouses pleurent leurs enfants et leurs maris ; que
d’orphelins appellent leurs pères !
Page
064 - Jeudi 10
septembre
Je tiens à noter un incident
bien triste pour moi et tout à fait inattendu ; je n’aurais jamais cru que
cela pût m’arriver, j’en suis même à me demander si je n’ai pas fait un mauvais
rêve. Hier j’étais allée chez ma voisine pour lui demander des nouvelles de son
fils qui a été blessé. Elle me dit : « je ne sais dans quel hôpital
il a été transporté mais je ne tarderai pas à le savoir car j’ai fait une
réussite et j’ai appris que j’aurai une lettre de mon fils ». Là-dessus
elle insista pour qu’à mon tour je choisisse un certain nombre de cartes ;
après quelques hésitations, je me décidai. Mon jeu n’était pas beau, j’avais
beaucoup de piques ; elle m’annonça que j’apprendrai une triste nouvelle
qui me ferait de la peine mais qui ne touchait aucun des miens,
Page
065 - puis que
je serai vivement contrariée - même qu’elle prévoyait une colère et que ce que
je désirais rencontrerait des difficultés. Bref j’avais totalement oublié les
prédictions de mes cartes lorsque le soir j’apprends la mort du fils Caffaréna,
jeune chasseur de 18 ans. En songeant à ce pauvre enfant et à la douleur de sa
mère, j’ai pleuré durant toutes les prières à St Louis. Aujourd’hui, de retour
de la messe tout en déjeunant, je lisais le P(etit)
Mars(eillais) lorsque je vois
que les ajournés, les réformés vont être appelés après être passés de nouveau devant un Conseil de Révision. Voilà donc
mon Léon exposé à être pris si un médecin l’examine d’une façon superficielle.
En ce moment, sa santé est tout à fait bonne, il est guéri Dieu merci. J’en
suis très heureuse mais il ne pourrait supporter les fatigues
Page
066 – de l’armée en campagne. Me voilà donc toute émue après la lecture
de cet article. Léon me rassure de son mieux. Papa, tout occupé de ses plans de
guerre, de sa stratégie, reçoit cette nouvelle avec une certaine indifférence
qui m’étonne beaucoup. La matinée s’écoule bien tristement pour moi ; je
ne pouvais arrêter mes larmes, c’était un déluge, semblable à celui de la
veille. Au déjeuner,. …………… (pages arrachées)
Page
067 – Simone
et mes fils ne l’ignorent pas, mais je n’en ai point parlé à mon mari et je
tiens essentiellement à ce qu’il ne le sache pas.
Vendredi 11 septembre
J’ai reçu une lettre de Jojo datée du 30
août ; elle n’a mis que 13 jours, heureusement que j’avais eu un
télégramme du 2 et des nouvelles indirectement par le docteur Mège.
Page
068 – Samedi 12 septembre
Rien de nouveau.
Dimanche
13 septembre
J’irai voir madame R pour lui parler
d’Albert, si elle pouvait réussir !
Lundi
14 septembre
Voilà 12 jours que je n’ai pas de
nouvelles. Je commence à être ennuyée.
Mardi
15 septembre
Je suis allée voir Albert à Hyères, je l’ai
trouvé très perplexe sur l’issue des (...)[1] faites par mme Bergane. Il souffre
davantage de son entérite. Je suis revenue très triste et j’ai bien pleuré le
soir à l’église.
Mercredi
16 septembre
Quelle bonne surprise ! Ce matin au
retour de la messe, au moment où j’allais
Page
069 – prendre mon
chocolat, Albert est arrivé, le commandant l’avait prévenu que le général le
faisait appeler à la subdivision. Le voilà casé grâce à son ami le
lieutenant Le Came aide de camp du Général. Il sera secrétaire au
cercle où l’on a installé des bureaux.
Jeudi 17 septembre
Mme Mège est venue elle-même
m’apporter des nouvelles de Georges. Elle a reçu un télégramme, je ne
m’explique pas pourquoi Geo ne m’en envoie pas.
Vendredi 18 septembre
Je suis allée voir le docteur
Aubert pour nos blessés du lycée. Il nous permettra de leur porter demain des
gâteaux et cigarettes.
Page
070 – J’ai
reçu une lettre de Geo datée du 2 septembre, une carte du 4 et du 5. Dans sa
lettre, le pauvre enfant me dit qu’il s’habitue facilement à cette existence de
chemineau car il change de cantonnement très souvent, s’il n’était dévoré par
la vermine en couchant dans les granges et les écuries. Lui qui prenait son tub
(bain) chaque jour, et qui
changeait de chemise, caleçon, chaussettes etc… chaque matin. Pauvre !
Pauvre enfant ! Et encore il faut que je m’estime bien heureuse car ce
manque de propreté n’est rien encore à côté des souffrances de nos pauvres
blessés. Que de tristesse Mon dieu !
Page
071 – Mardi 6 octobre
J’ai été tellement occupée avec nos soldats
blessés que je n’ai pas trouvé une minute pour mon petit cahier. Nous faisons,
en ce moment, des plastrons pour nos soldats d’Algérie et les troupes
sénégalaises. J’ai envoyé des vêtements chauds à mon Petit. J’ai de bonnes
nouvelles jusqu’à présent, que Dieu le protège toujours !
Vendredi
25 décembre 1914
Voilà près de trois mois que je n’avais
plus ouvert mon petit cahier : hélas ! Malgré les soucis, les
angoisses sans cesse renouvelées, le temps s’écoule sans apporter de notables
améliorations ou changements à l’état actuel. C’est la guerre dans toute son
horreur, c’est la guerre sans trêve, la guerre continue et dont nul ne peut prévoir
la fin. Que nous sommes malheureux, Mon Dieu !
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072 – Le 21 au matin, Léon
est passé devant le conseil de révision, je l’avais prié de venir aussitôt me
donner le résultat du conseil, ayant hâte de savoir, si comme tout le faisait
présager, il serait mis dans les S(ervices)
auxilaires. En effet, peu après je le voir revenir avec une mine
si réjouie que je lui dis en l’embrassant :
- Je vois à ton air que je dois
être contente n’est-ce-pas ? tu es dans les S(ervices) aux(ilaires)
- Mieux que ça !
- Réformé ?
- Oh non !
- Mais alors ?
- Dans le service armé !
Je suis restée figée pendant
quelques secondes ne pouvant dire un mot. Oh ! Que j’ai souffert ! Je
me suis ressaisie aussitôt me disant que si mon fils affectait pour moi ce
consentement, je ne devais pas lui laisser voir mon chagrin et je me suis
contentée de lui dire : Promets-moi mon Petit de t’arrêter dès que tu te
sentiras malade, n’en fais pas une question d’amour propre, je t’en prie.
Page
073 – Quant à
son père, il s’est contenté de lui dire : « la France a besoin de
tous ses enfants ! ». Deux jours après, papa recevait 2 télégrammes
lui disant de partir immédiatement car sa vieille sœur (80 ans) était très
malade. En effet, la pauvre femme est morte le 24, veille de Noël et les
obsèques ont eu lieu aujourd’hui. Je suis allée avec Simone à la messe de
minuit et aujourd’hui elle est descendue avec Odette car ses fils étaient punis
à la suite d’une grosse sottise. Quelle triste fête, combien j’ai pensé à mon
cher petit Geo qui, en Lorraine, se trouve seul après avoir été loin de la
maison pendant 4 fêtes de Noël. Et notre cher papa ! Combien il a dû
souffrir d’être loin de nous et de perdre cette sœur qu’il aimait tant. Mon
Dieu, je vous en prie, que toutes nos tristesses se terminent avec cette année
1914 !
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074 – 21 février 1915
Il est parti, mon Léon, mon
Petit ! Cet après-midi à 2h. Son père et son frère l’ont accompagné et je
suis restée seule à la maison le cœur meurtri, déchiré, sanglotant, criant,
hurlant, pourrais-je dire, demandant à Dieu d’avoir pitié de moi et à sa Ste
Mère de veiller sur mon enfant, de le protéger. J’avais, le matin, fait la
communion afin d’avoir le courage de supporter cette épreuve, la plus cruelle
qui soit imposée à une mère. N’est-ce pas inhumain de m’avoir enlevé cet enfant
que j’ai tant soigné ? J’ai peur pour lui ; il ne pourra jamais
supporter les fatigues du régiment, bien qu’il soit plein de bonne volonté et
très fier d’être militaire et de se rendre utile à son pays. Mon Dieu, Mon
Dieu, veillez sur lui et ayez pitié de sa pauvre mère.
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075 – 15 avril 1915
Voilà près de deux mois que je
n’avais pris mon petit cahier et cependant j’ai pas mal de choses à noter.
D’abord mon Léon à la caserne de Lyon dans un lycée moderne près du parc de la Tête
d’Or, en face de la gare des Brotteaux, enchanté d’être soldat et surtout
d’être à Lyon, hélas trop peu de temps, au bout de 12 jours, envoyé à Nyons
(Drôme) un trou de 3 mille habitants, ils sont environ 4 mille hommes répartis
dans les écuries, remises, étables, quelle horreur ! Je les ai vus ces
bons soldats couchés sur leur sac de paille, car le 20 mars, je suis allée avec
mon mari passer 4 jours auprès de notre cher enfant. J’ai eu le bonheur de le
trouver en bonne santé, très résigné, mais vêtu comme un mendiant ; capote
percée de trous de balles, pantalon velours gris sur lequel avait déteint un
pantalon toile bleue ; sa capote était courte, étriquée. Mon fils, si
élégant en temps ordinaire était grotesque mais il n’avait pas l’air de s’en
soucier, il acceptait tout avec philosophie.
Page
076 – Peu de
jours après l’avoir quitté, il nous apprend qu’il est reçu à l’examen d’élève Officier !
le voilà donc à st Maixent depuis le 10. Nous sommes heureux car il est à
l’école pour 3 ou 4 mois et alors…. La guerre…. Je n’ose trop l’espérer,… mais
si elle pouvait toucher à sa fin, Mon Dieu, exhaussez-nous.
Mon Geo nous a écrit il y a 8
jours qu’il avait une crise de paludisme assez forte puisque le major a demandé
une consultation et a fait faire l’analyse de son sang et des urines. Il
m’assure qu’en ce moment il va mieux mais n’a pas quitté l’infirmerie. Pauvre
Petit, je me doutais bien qu’il était malade, j’en avais l’intuition, est-ce
qu’une mère ne le devine pas, ne le sent pas à ce que je ne sais quoi de
mystérieux de cette angoisse qu’elle éprouve comme à l’approche d’une
attristante nouvelle qu’on redoute mais qui est inévitable. C’est cette anxiété
qui
Page
077 – m’a
torturée pendant les dix jours où je suis restée sans nouvelles : une
carte écrite d’une main tremblante, le pauvre chéri était en proie à une forte
fièvre, puis un télégramme envoyé par un camarade qui avait maladroitement
signé G. Taj. Alors que mon Petit ne signe que son prénom. Tous ces indices
ajoutés à des cauchemars horribles ne présageaient rien de bon. Ah ! Si je
pouvais aller l’embrasser ce cher enfant, comme je serais heureuse !
Léon a été reçu
élève officier, il est entré à St Maixent le 10 avril 1915.
Léon a quitté St Maixent le 10
août ; il a été reçu aspirant, est venu en permission le 14 août et
reparti le 20 août à son dépôt à Lyon. Il en est reparti le 24 pour un régiment
d’infanterie alpine, il est près de Paris. Où ? Un trou près d’Aubigny. Je
ne sais où se trouve Aubigny. Mon Dieu ! Protégez-le !
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078 – 13 septembre 1915
Mon Léon m’écrit qu’il est
évacué dans un hôpital de l’intérieur parce qu’il s’est fait une entorse. Me
dit-il exactement la vérité ? Ne me cache-t-il rien ? Qu’il me tarde
de savoir si cette entorse est grave !
9 octobre
Je viens d’apprendre par une
carte d’un ami de mon fils que mon cher enfant avait été blessé ; j’ignorais
qu’il fût dans les tranchées. C’est pourquoi l’entorse était en somme un
prétexte très vraisemblable ; mon entourage m’a caché jusqu’à l’arrivée le
véritable motif d’évacuation au Havre d’abord puis à Fécamp et à Evreux.
De même mon petit Geo a été
évacué de Bar à Carcassonne pour la fièvre typhoïde le 1er
septembre. Je l’ai encore ignoré, ayant été moi-même malade pendant 2
mois ; on a
Page
079 – tenu à
me ménager et c’est mon cher Albert qui a eu toutes les préoccupations, tous
les soucis pour ses frères. Léon est arrivé lundi 11 octobre à 10h47 et mon Geo
jeudi 21 octobre à 6h du matin. Combien je remercie la Vierge d’avoir protégé
mes chers Petits !
23 décembre 1915
Ce soir à 9h mon cher Léon nous
a quittés pour la 2ème fois, quelle tristesse angoissante que ces
départs pour le terrible inconnu. J’ai eu à peine le temps d’embrasser mon
enfant chéri, les quais de la gare étaient encombrés par tous les
permissionnaires de la Noël ; Léon courait d’un train à l’autre pour
trouver une place grâce à Félix qui s’est fait ouvrir une voiture de 1ère
classe,
Page 080 – censé pour lui, mon enfant
chéri a pu, grâce à ce subterfuge, avoir une bonne place qu’il a conservée
jusqu’à Chambéry : une fois entré, l’employé s’est empressé de refermer à
clé la voiture et je n’avais pas encore embrassé mon Petit, pensant qu’il
pouvait redescendre une fois sa place retenue. Jojo m’a hissée comme il a pu
vers Léon qui s’est penché et j’ai pu, à la volée, l’embrasser très vite, alors
que j’aurais voulu retenir ce train qui emportait mon enfant bien-aimé ;
je l’ai regardé jusqu’à la fin, lui envoyant le plus tendre baiser ; je ne
pleurais pas, mais j’avais le cœur brisé, murmurant tout bas Mon Dieu !
Protégez-le, Mon Dieu rendez-moi mon enfant !
Loin des regards de mon fils,
j’ai pu enfin pleurer en rentrant à la maison, accompagnée de papa, Félix et
Jojo.
Page
081 – Janvier 2016
Les jours qui suivront ce
départ furent durs car mon Léon m’écrivait chaque jour et ses lettres étaient
si réconfortantes, me faisant espérer qu’il viendrait en permission avant
d’aller à Donzère dans la Drôme. Hélas pauvre chéri ! Ce qu’il devait
souffrir en me faisant ce pieux mensonge lui qui savait dès le 1er
jour de son arrivée qu’il devait partir sur le front après la dernière piqûre
du vaccin contre la typhoïde. J’avais, par mégarde, ouvert une lettre qu’il
adressait à Jojo, là il ne prenait aucun détour pour se plaindre de cette brute
de commandant du Dépôt qui le faisait partir avant son tour en dépit des
circulaires du Général Galliéni ; c’est odieux, c’est révoltant. Mon mari
avait écrit à ce Commandant pour lui demander 48h de plus de permission pour la
Noël ; le mal élevé n’a même pas répondu. Nous avons envoyé un télégramme
avec réponse payée : la réponse était un refus. Pouvions-nous
Page
082 – supposer que ce personnage ferait
supporter à ce cher Petit la demande de mon mari ? Comme je souffre en me
rappelant ce que disait cet enfant : n’écrivez-pas ; cela pourrait
indisposer le commandant contre moi, et c’est sur l’instance de tous qu’il nous
a permis de le faire. Pardonne-nous mon enfant chéri ! C’est pour nous que
tu souffres actuellement et c’est bien cette pensée là qui me rend si
malheureuse. Je ne m’en consolerai jamais. Pardon, pardon mon Petit que j’aime
tant, toi qui es si bon pour ta mère, toi as toujours évité de me faire
connaître que tu avais été blessé ; c’est toujours dans cette même
intention pour m’éviter du chagrin, que tu as combiné cette histoire consistant
à me faire croire que tu partais à l’arrière du front pour compléter les cadres
de la classe 16. Je veux, chéri, te le laisser croire ! Non jamais tu ne
sauras ce que je souffre et la crise que j’ai eue à la nouvelle de ton départ.
Georges nous a quittés le 5
janvier pour Marseille et de là pour Nîmes au 38e d’Artillerie.
Février 1916
Geo nous a demandé à partir
pour le front avec Maurice et le 11 il est venu en permission de 3
jours ; il nous a quittés dimanche
13 pour Nîmes, encore une soirée d’émotions et de tristesse, cela ne finira
donc pas ? Les enfants ont quitté Nîmes le 16 février. Que Dieu les
accompagne.
Encore
un grand merci à Coco qui a réalisé tout le travail de transcription !
Retrouvez :
- la généalogie de Léontine DUPUY sur mon arbre en ligne sur Geneanet en cliquant ICI
- le récit de la vie de son fils Léon ICI,
- le récit de la vie de son fils Georges ICI,
- et le récit de la vie de son fils Albert mon arrière-grand-père ICI.
- la généalogie de Léontine DUPUY sur mon arbre en ligne sur Geneanet en cliquant ICI
- le récit de la vie de son fils Léon ICI,
- le récit de la vie de son fils Georges ICI,
- et le récit de la vie de son fils Albert mon arrière-grand-père ICI.
FIN.
Ce récit haletant s’avère terriblement captivant. Je m’identifie totalement à Léontine, je n’imaginerais pas voir partir mon fils à la guerre.
RépondreSupprimerDis-nous vite si ses fils sont revenus vivants et sans trop de blessures physiques.
Chère Marie, j'ai rajouté quelques liens à la fin de l'article pour indiquer les articles concernant la vie des 3 frères ! Bonne lecture !
Supprimerquelle émotion en relisant les lignes de ce journal. c'est superbement écrit. merci Marine, et j'ai pu repasser tranquillement sur la vie des trois frères Tajasque. on oublie le mauvais temps en lisant tout ceci.
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