mercredi 11 juin 2014

#ChallengeAZ : J comme Journal

Revenons aujourd’hui sur mon AAGP Jacques TAJASQUE.
Après ses Décorations et ses Etats Généraux de Services, c’est son Journal de Marine que je vais vous faire découvrir aujourd’hui.

Jacques TAJASQUE
Vers 1900
Source : Archives familiales


Comme je vous l’ai dit, Jacques TAJASQUE était marin passé Lieutenant de vaisseau en 1872 et Capitaine de frégate en 1889.

Vous avez pu voir en lisant ses Etats Généraux de Services qu’il avait traversé les océans et navigué sur (presque) toutes les mers.

Mais comment était la vie à bord ?
Que savons-nous de ces hommes  qui vivaient parfois de longs mois ensemble coupés du reste du monde ?
Que savons-nous de leurs relations avec les autres pays où ils débarquent ?

J’ai découvert 2 journaux appartenant à mon AAGP qui nous apportent un début de réponse : son Journal de Marine daté de mai à septembre 1882 et un petit cahier vert écrit de sa main daté de 1885 dans lequel il consignait les ordres du commandant à envoyer à différents destinataires.

Journal de Marine de Jacques TAJASQUE, Lieutenant de vaisseau
Campagne des Antilles – 1882 mai et juin
Sénégal – août septembre 1882
Source : Archives familiales

Ouvrons un peu ce journal de Marine :


Chaque double page est sur le même modèle et correspond à une journée.
A gauche, toutes les indications concernant les vents et la navigation, et à droite les commentaires : en premier les commentaires pour la période entre minuit et midi et en bas entre midi et minuit.

Je vous épargnerai la transcription de l’ensemble car beaucoup de choses se répètent.
Par contre, j’ai relevé plusieurs choses intéressantes.

Vendredi 26 mai 1882
Manœuvres pour rentrer aux Saintes
Débarqué les passagers et les 19 chevaux à destination de la Guadeloupe
Mis le canot à vapeur et le youyou* pour le service du bord. Mis de l'ordre partout. Fait prendre des douches à l'équipage

*toute petite annexe utilisée pour embarquer ou débarquer d'un bateau

Rade de Basse Terre (Guadeloupe) jusqu'au lundi 29 mai 1882

dimanche 28 mai :dans l'après-midi,  jeux et sacs pour l'équipage jusqu'à 3h45
Le canot à vapeur remorque des chalands de matériel qu'on embarque

lundi 29 mai : 1h15 Mis l'équipage aux ordres du maitre de manœuvre, pris toutes les dispositions pour l'appareillage. 4H30 souper par bordée 6h05 mis aux postes d'appareillage. 6H15 mis en marche, branlebas, service ordinaire de nuit.


Bien entendu, on trouve tous les jours des informations sur le temps et la mer.
Jeudi 1er juin : BT (Beau Temps), ciel nuageux, légère brise irrégulière d'Est.


Sur l’entretien du vaisseau et des voiles :
Mardi 30 mai : de minuit à midi. 4H30 lavé la dunette* 5h40 branlebas déjeuner lavage du pont et lavage de la batterie 9h établi les voiles carrées. La grand voile et les cacatois**. 9H10 stopper les machines et établi la grand voile cargué les goélettes.

* partie surélevée du gaillard arrière d’un vaisseau qui s'étend sur toute sa largeur et qui sert au logement des officiers et des éventuels passagers.
** voile se trouvant au sommet d'un mât.


Et on ne rigole pas avec la propreté sur un vaisseau, sûrement à cause de la peur des épidémies. Jacques TAJASQUE note méthodiquement sur son journal quand le personnel se lave et est inspecté.
Jeudi 1er juin : 8h Douches par bordée. 8H30 lavage corporel 9h40 changement de tenue 10h40 Inspection du personnel et de santé.


On voit aussi que le personnel est continuellement formé ; tous les 2 ou 3 jours au maximum, on peut lire
Théorie du compas 1h45 Exercices de canon 3h Ecole élémentaire


Tous les jours où presque, on abat un bœuf pour nourrir l'équipage et on « fait » souvent de l'eau douce.
lundi 5 juin : Abattu un bœuf pesant 164 kilos
mardi 6 juin : Abattu un bœuf pesant 206 kilos
mercredi 7 juin : Abattu un bœuf pesant 174 kilos - Fait 2800 litres d'eau douce
vendredi 9 juin : Abattu un bœuf pesant 158 kilos - Fait 400 litres d'eau douce
samedi 10 juin : Abattu un bœuf pesant 216 kilos
dimanche 11 juin : Fait 3400 litres d'eau douce


Et puis il y a les morts...
mercredi 14 juin 1882 :Midi 23 (?) est décédé le N (Nommé) BISSON, matelot calfac provenant du « Fabert ». 6h Immersion du N BISSON.
Dimanche 25 juin 1882 : 2h30 Décès du N PASQUALINI Pascal, 2e commis aux vivres, provenant du Fabert. 7H Immersion du N  PASQUALINI.


Chaque jour, Jacques TAJASQUE note ce qu'il voit depuis le bateau :
lundi 5 juin : 10H15 Lever de la lune au S(ud) 75°E(st)
lundi 12 juin : 8h arc en ciel dans l'ouest
mardi 13 juin : aperçu quelques marsouins
mercredi 14 juin : aperçu un tronc d'arbre près du bord
samedi 17 juin : aperçu quelques baleines
lundi 19 juin : Alcyans – mer phosphorescente
Mardi 20 juin : aperçu une tortue et des marsouins. Aperçu des thons le long du bord.


Le vaisseau croise aussi beaucoup d'autres navires et Jacques consigne tout ; on voit ainsi que les mers sont très fréquentées.
lundi 5 juin : un trois mats en vue courant à l'Ouest.
Mardi 20 juin : Echangé les couleurs avec un brick goëlette dont on ne reconnaît pas la nationalité.
Jeudi 22 juin : aperçu 2 voiliers par bâbord courant comme nous et un vapeur courant à contre bord
Mardi 27 juin : croisé un bateau à vapeur par Bd (bâbord)
Mercredi 28 juin : Signalé « Calvados » à Gibraltar annoncé par le télégraphe. Croisé plusieurs navires faisant des routes diverses. 10H45 croisé et échangé le salut avec la goélette à vapeur français le « Mireille » de Marseille.



Dans son petit cahier vert, Jacques note d’une belle écriture les notes à envoyer aux différents interlocuteurs du Capitaine.
Il est à ce moment là sur la Provençale. En me reportant à ses Etats Généraux de Services, je peux dater ce document entre janvier 1886 et juillet 1887.



Dans ce cahier, pas moins de 85 notes allant de la demande d’envoi de matériel à une demande d’effectifs supplémentaires en passant par des sanctions disciplinaires.

Ci-dessous l’index des notes :






J’ai sélectionné quatre notes qui nous permet d’apercevoir quelques bribes de la vie de nos ancêtres.



Tout d’abord sur leur régime alimentaire,
  

N°6 : Résultats obtenus du nouveau régime alimentaire

A Monsieur le Contre Amiral Major Général

Amiral,
J’ai l’honneur de vous faire connaître les
résultats des essais sur la Provençale au sujet
du nouveau régime alimentaire. Dépêche 20 octobre 1885
Les premiers jours la diminution de la ration
de viande a paru sensible ; elle a été ensuite acceptée
avec plaisir quand les hommes ont vu qu’elle avait
pour but de leur donner un sixième repas de viande.
Une satisfaction unanime et très vive a accueilli
l’augmentation de légumes verts pour la soupe du soir,
Et les modifications apportées dans le repas maigre du vendredi.
Je suis avec… etc
Signé : Legros


Ensuite sur leur hygiène,




N°37 : Relatif aux essais de lavage à l’eau de mer avec le savon de M. Laure
23 mai 1885

A Monsieur le Contre Amiral Major de la flotte

Amiral,
Conformément à l’ordre du 25 avril de
Monsieur le Vice-Amiral Préfet Maritime, j’ai
l’honneur de vous rendre compte des essais de lavage
a l’eau de mer faits avec les 8 pièces de savon
de monsieur Joseph Laure, délivrées à la Provençale.
Quatre hommes choisis parmi les plus
soigneux ont été chargés de procéder aux essais sur
des chemises, des tricots, des gris, des hamacs et des
voiles d’embarcations.
Tous s’accordent à reconnaître que le

(page suivante)
lavage à l’eau de mer avec le savon Laure
décrasse parfaitement, mieux que le lavage à
l’eau douce avec savon ordinaire et rinçage à
l’eau de mer, mais qu’il laisse aux objets lavés
une humidité beaucoup plus considérable que ce
dernier procédé.
Tous se plaignent que le savon Laure brûle
fortement les mains, et y rend les gerçures très douloureuses,
ils présument qu’il doit également brûler les objets
lavés. Ils ajoutent que ce savon s’use beaucoup plus
rapidement que l’autre.
Ils résument ainsi leur avis : pour un lavage
a l’eau douce seule, le savon Laure vaut mieux, s’il
ne détruit pas le linge trop rapidement ; mais
nous préférons beaucoup le lavage à l’eau douce avec
savon ordinaire et rinçage à l’eau de mer.
Je suis etc..
Signé : Legros



Sur les maladies qui sévissent à l’époque.



 
N°10 : Au sujet des marins décédés par suite du choléra

A Monsieur le Capitaine de Gendarmerie de Dunkerque (Nord)

Monsieur le Capitaine,
Les autorités maritimes du port de Toulon recueillent
en ce moment des renseignements sur la situation des
parents dont les enfants au service ont été victimes
du choléra, dans le but de dresser en leur faveur

(Page suivante)
s’il y a lieu, une demande de secours à la caisse
des offrandes nationales.
Les renseignements fournis par les municipalités
étant toujours dictés par des sentiments d’extrème bien-
veillance, j’ai l’honneur de vous prier, Monsieur le
Capitaine, de vouloir bien faire procéder par des agents
sous vos ordres à une enquête sur la situation du Né
Adrianten Pierre, demeurant à Saint Pol, canton ouest
de Dunkerque père d’un marin décédé à l’hôpital
le 23 août dernier. Je vous adresse sous ce pli un
questionnaire à remplir, ainsi qu’in double dont les
réponses qui pourront aider vos recherches, on été remplies
a tort par le maire de Saint Pol. Si la situation du
Né Adrianten vous parait réellement intéressante
vous voudrez bien l’inviter à vous remettre pour les
joindre à votre réponse, un certificat de bonne vie et
mœurs, un certificat d’imposition, ainsi qu’une pièce
légalisée certifiant l’existence et l’âge des personnes à
sa charge.
Recevez, etc…
Signé : Legros



Et enfin sur les relations qu’il peut exister à cette époque sur un vaisseau.


N°4 : Demande à faire entrer le Né Martel à la prison maritime

A Monsieur le Contre Amiral Major Général

Amiral,
J’ai l’honneur de vous demander l’autorisation
de faire subir à la prison maritime les 30
jours de prison sans solde que je viens d’infli-
ger au Nommé Martel ouvrier mécanicien
à bord du Kéraudren pour s’être esquivé du bord
le 21 décembre étant puni de 8 jours de prison
sans solde pour inexécution d’ordre et arrogance
envers son Capitaine et être rentré le 27 décembre
après 137 heures d’absence illégale.
Je vous demande également de vouloir
bien donner l’ordre de remplacer Martel sur
le Kéraudren où sa présence est nuisible au service.
Je suis avec…etc…
Signé : Legros




A demain pour le K…



3 commentaires:

  1. je dirais même plus : passionnant

    Tantine

    RépondreSupprimer
  2. Ces archives sont géniales.
    La routine du service à la mer n'a pas beaucoup changé : propreté, entretien du navire, formation et, surtout, manger...

    RépondreSupprimer