mercredi 8 juin 2016

Challenge AZ 2016 : G comme Guerre

Dans mon article E comme Eté, je vous avais proposé la transcription de la première partie du journal de mon AAGM Léontine DUPUY qui racontait ses vacances d’été entre 1879 et 1913.

Aujourd’hui, je vous propose la suite de ce journal avec le récit d’une mère qui voit partir ses enfants à la guerre en 1914.


Albert, Léon et Georges TAJASQUE
Journal de leur mère Léontine DUPUY épouse TAJASQUE entre 1879 et 1916
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Eté 1914
Ayant cette année le bonheur d’avoir mes enfants en congé, nous avions projeté d’aller de nouveau à Engelberg ; nos préparatifs étaient faits et notre départ fixé au 27 juillet, lorsque la veille dimanche 26 les journaux annonçaient que l’Autriche Hongrie avait déclaré la guerre à la Serbie ; la Russie promettant son appui à cette petite puissance, c’était pour nous une guerre très prochaine en perspective, comme alliés de la Russie ; il était donc prudent de retarder ce départ ; nous supposions que ce ne serait d’un retard, espérant toujours que les chefs d’Etat hésiteraient avant de mettre l’Europe à feu et à sang. Hélas, ce que l’on redoutait et ce que l’on souhaitait tout à la fois éclata le 1er août ; A 5h, au moment où Pierre, commandant un contre torpilleur, nous faisait ses adieux,
Page 043 - le canon retentit, la générale, comme un glas funèbre annonçait la mobilisation ; quel affolement, quelles angoisses pour les mères et les épouses, qui s’arrachaient des bras de ceux qu’elles chérissaient. Mon jeune fils Georges accompagné de sa cousine Simone, me conduisit à l’église St Louis. J’ai vécu ce jour-là les heures les plus atroces de mon existence.

Lundi 3 août
Après avoir recommandé mon fils à la Vierge, je me traînais péniblement de magasin en magasin pour l’achat des objets indispensables à mon Geo. Il nous quitta le lundi 3 août 1914 à 5h30 du matin. J’eus le courage de l’embrasser sans verser une larme, ce dont je me serais crue incapable. Accompagné de son père et de son frère Léon, j’ai vu du balcon s’éloigner cet enfant, je lui adressai de la main un dernier adieu, et je
Page 044 - rentrai à bout de forces me prosterner  au pied de la Vierge. Je l’invoquai pour mon Petit, lui demandant de me le ramener et j’adressai les mêmes prières à ma bonne maman.
La guerre ! la guerre ! Que de fois j’ai dû répéter ce mot qui fait frémir pour bien me convaincre que tout ce qui venait de se dérouler n’était pas un horrible cauchemar !

Mardi 4 août
J’ai écrit à mon cher petit à Marseille. Que de tristesse autour de moi, que de larmes…

Page 045 - Mercredi 5 août
Ce matin à 5 heures mon fils aîné, qui se trouvait à Vichy, est arrivé après un voyage de 40h dans un fourgon ; il était en congé de convalescence et s’est mis à la disposition du général.

Jeudi 6 août
Albert est affecté au dépôt du 113e territorial.
Page 046 - Vendredi 7 août
J’ai reçu la 1ère lettre de mon fils datée du 3e jour de son départ ; ces quelques lignes, pleines d’enthousiasme, m’ont un peu consolée.

Samedi 8 août
Reçu la 2e lettre de Geo datée du 4.

Dimanche 9 août
En rentrant de la messe, reçu un télégramme de Geo annonçant son départ de Marseille : « très content, bonne santé ».

Page 047 - Lundi 10 août – Mardi 11 août
Reçu lettre de Geo à son arrivée à Orange, il m’annonce qu’il n’y restera que deux jours, ce qui me navre c’est que le pauvre enfant ne reçoit aucune lettre, toute la correspondance va à Draguignan où on la retient. Dans l’après-midi, j’ai eu une 2ème lettre de Geo qu’il avait confiée à madame Roman notre locataire du 1er. Cette dame était allée à Orange voir son fils, elle a donc pu rassurer mon enfant au sujet de notre santé.

Page 048 - Mercredi 12 août
Reçu de Géo sa 3ème lettre d’Orange m’annonçant son prochain départ pour Dijon et Toul ensuite. Il est impatient d’y être. Mon Dieu protégez-le.

Jeudi 13 août
Pas de nouvelles de mon Geo ; sa lettre me manque pauvre Petit, je sais que c’est indépendant de sa volonté car il m’écrit chaque jour ; c’est ce que je fais aussi, mais moins favorisé que moi, il ne reçoit pas mes lettres ; il est peut-être en route au moment où j’écris ces lignes. Mon bon cher Petit !

Page 049 - Vendredi 14 août
Encore rien. Mon Dieu ! Où est-il ?

Samedi 15 août – assomption
Je viens de faire la communion ; j’ai recommandé mon cher enfant à la Sainte Vierge, donc c’est la fête aujourd’hui, elle ne peut donc rien me refuser. Pas de nouvelles !

Dimanche 16 août
Ce matin, à la 1ère heure, j’ai eu une lettre d’Orange datée du 13 août et une carte du 14 en gare de Chalons sur Saône. Dans sa lettre, mon fils me dit qu’ils vont quitter Orange pour aller d’abord à Is sur Tille à 10 km au-dessus de Dijon. Je tremble, mon dieu, il s’achemine vers la frontière. Protégez-le ! Ramenez-moi mon fils ! Il pleut aujourd’hui pour ces petits soldats qui coucheront sur cette terre humide.

Page 050 - Lundi 17 août
Pas de nouvelles encore ! Mon Dieu donnez-moi la force de supporter ces angoissantes journées qui s’écoulent si tristement.

Mardi 18 août
J’ai appris par Thérèse que son fils était à Mirecourt avec son régiment et qu’on attendait différents corps d’armée dont le XI ; c’est celui auquel est affecté mon Geo ; le voilà bientôt sur le théâtre de la guerre !

Mercredi 19 août
Toujours rien, c’est atroce de se demander à toutes les heures de la journée, que dis-je, à toutes les minutes : où est-il ? Mon Dieu, mon Dieu ! Protégez mon Petit, rendez-le à sa mère, ayez pitié de toutes les pauvres mères qui souffrent comme moi.

Page 051 - Jeudi 20 août
Enfin je suis heureuse, j’ai reçu ce matin un télégramme de mon fils en date du 19 de Haroué. Nous nous sommes précipités sur l’atlas pour chercher ce nom qui nous était inconnu et nous l’avons trouvé près de Nancy. Je lui ai aussitôt envoyé une réponse télégraphique mais la poste l’a refusée disant qu’elle n’acceptait rien pour ce département et celui des Vosges. J’ai donc envoyé une carte à Marseille son point de départ, et une autre à Haroué ; peut-être en recevra-t-il une sur deux car il n’a encore pas de mes nouvelles. Il pleut depuis ce matin, c’est encore plus triste et je songe que nos petits soldats doivent avoir froid peut-être avec ce vilain temps.



Page 052 - Vendredi 21 août
Rien. Mon Dieu ! Ne m’abandonnez pas, donnez-moi des nouvelles de mon fils.

Samedi 22 août
Pas de nouvelles de Geo. Nous sommes tristes, très tristes, il nous semble que les Allemands gagnent du terrain en Belgique. Ceux qui sont rassurants, comme mon cher Albert, m’affirment que cette marche en avant était prévue, que les Belges devaient reculer, abandonner Bruxelles, pour concentrer les forces à Anvers et Namur ; est-ce bien vrai mon Dieu ? Je redoute tant une défaite qui découragerait nos vaillants soldats. On dit qu’il y a beaucoup de blessés et tués dans le 111 et le 112e.

Page 053 - Dimanche 23 août
Je verrai s’écouler cette journée sans qu’elle m’apporte le mot, le petit mot si impatiemment attendu. Où est mon cher enfant au moment où j’écris ces lignes ? Mon bon cher mari devient bien pessimiste, tout en disant « je crois que nous serons victorieux » il ajoute mais !... Nous avons à faire à forte partie ; d’après le plan de nos ennemis ils visent à entrer dans Paris.

Lundi 24 août
Il semble qu’un vent précurseur d’orage nous menace ; tout le monde est triste, morne ; on s’aborde par ces mots : « eh bien ! Qu’en pensez-vous ? Qu’allons-nous apprendre ? Je crois que ça marche mal ». Les pessimistes ont beau jeu ; quant à moi je me rallie du côté de ceux qui disent comme mon mari et mes fils : ne nous laissons pas abattre par quelques échecs ; les plus grandes guerres de l’Empire ont
Page 054 - eu des jours malheureux avant la victoire finale. Nos ennemis sont redoutables, il faut en convenir, mais ayons confiance, nous avons pour nous le bon droit et avec nous des amis fidèles, les russes nos alliés marchent à grands pas vers Berlin, ce que Mon Dieu je veux croire et espérer, mais je voudrais aussi avoir un petit mot de mon cher enfant.

Mardi 25 août
Fête de St Louis roi de France. Je l’ai bien invoqué ce matin dans l’église qui porte son nom, son autel était entouré de drapeaux francs. Le vent menaçant s’est déchaîné par une nouvelle que l’on a de la peine à croire, nouvelle publiée par le Matin du sénateur Gervais ; il prétend que le 111e et le 112 ont fui devant l’ennemi. Il flétrit les soldats du Midi.
Page 055 - La Provence entière se soulève d’indignation ; en admettant que quelques défaillances individuelles aient pu se produire, faut-il pour cela englober toute une province dont les enfants sont partis les premiers au feu et en admettant que tout un régiment se soit dérobé, n’est-ce pas monstrueux que de le révéler à nos ennemis et à nos alliés ; c’est de la lâcheté et un acte pareil mérite un juste châtiment.

Mercredi 26 août
Je rentrais ce matin de la messe avec Simone quand nous avons aperçu le facteur au coin de l’avenue ; nous l’avons attendu pour lui demander si nous n’avions pas de lettre ; il en avait une précisément de mon Geo, mais elle était datée du 18 tandis que son télégramme était du 19 ; malgré cela j’ai éprouvé une joie infinie à lire ces quelques lignes d’Haroué où ils sont arrivés après
Page 056 -  une marche de 20 km sous une pluie battante. Le cher Petit me dit qu’il s’est vite habitué au port du sac, aux marches et au couchage sur la paille ; il me donne l’assurance qu’il est en bonne santé et surtout enchanté de faire cette campagne. Il me recommande le courage. Oui ! J’en aurai mon chéri je te le jure. Simone vient de recevoir un télégramme de Pierre à cette même date.

Jeudi 27 août
J’ai eu ce soir une carte de Geo datée du 15 et venant de Méricourt ; voilà comment est fait le service postal, les employés mettent les correspondances de côté au fur et à mesure de leur arrivée et les expédient au gré de leur fantaisie. Léon a reçu également la même carte de son ami Mège qui lui dit qu’il voit son frère à tout instant et qu’il est en bonne santé.

Page 057 -  Vendredi 28 août
C’était une messe à l’intention de grand-mère, celle de chaque mois, je l’ai bien priée cette bonne maman pour qu’elle veille sur son petit-fils, et que j’ai des nouvelles le plus tôt possible. Comme c’est long à venir, Mon Dieu !

Samedi 29 août
Encore rien, voilà exactement 10 jours depuis le télégramme du 19 août. Où est-il maintenant que l’on dégarnit la frontière de  l’Est ? Sans doute sur la frontière du Nord, me dit Albert. Il suit le XIIe corps d’armée qui a été déplacé. C’est ce qui expliquait ce long arrêt dans les nouvelles ; toutes les mères que je connais sont dans le même cas. Espérons !

Dimanche 30 août
Pas de nouvelles. Le matin madame Ronan est montée me faire voir une lettre de son fils toute récente, cela me fait encore plus regretter de n’en pas avoir. Léon veut me rassurer en me disant que son ami Mège a envoyé un télégramme ainsi conçu : tous en bonne santé ; il prétend que Jojo est compris dans ce pluriel de tous. Mon Dieu faites qu’il en soit ainsi.

Lundi 31 août
Rien ! Rien ! Je suis désolée ! Je viens d’envoyer un télégramme, où ira-t-il ? Lui parviendra-t-il seulement ? Mon Dieu que je suis triste aujourd’hui.

Page 059 - Mardi 1er septembre
Je suis de plus en plus inquiète ; ce manque de nouvelles est insupportable, atroce, mon dieu que je souffre en pensant à ce Petit, que lui est-il arrivé ? Que vais-je apprendre ? Mon Dieu ayez pitié de moi. Je crois que je deviens folle ! J’apprends que plusieurs toulonnais sont ou blessés ou morts, c’est terrible !

Mercredi 2 septembre
Ce matin à 11h30 je rentrais à la maison lorsque j’ai trouvé un télégramme à l’adresse d’Albert. Tout d’abord cela m’a paru assez naturel, puis réflexion faite je me suis demandée si ce télégramme n’était pas porteur d’une mauvaise nouvelle en s’adressant sans doute à mon fils aîné pour le préparer à apprendre…. Mon Dieu ! Que mon cœur battait fort en tournant et retournant ce
Page 060 - petit papier bleu ! Que j’aurais voulu lire au travers. J’étais anxieuse lorsque mon mari rentrant à la maison, et à qui je fis part de mon inquiétude, me dit « attendons jusqu’à midi 30, si Albert n’est pas rentré nous l’ouvrirons. A ce moment même mon fils arrivait. Je lui tendis son télégramme en lui disant : tu vas me jurer de me dire si ce télégramme concerne ton frère ; Albert toujours calme et souriant l’ouvrit et en m’embrassant bien tendrement me dit : rassure-toi petite mère ce télégramme n’est que pour moi seul, je te le jure. A 5h j’entendis sonner deux fois ; je courus à l’escalier et  j’entendis ma chère Simone me dire : Tante un télégramme pour toi, veux-tu que je l’ouvre ? Oui, oui, dépêche-toi ; dis-moi si c’est de Georges. En effet, c’était bien mon Petit qui me
Page 061 - disait : reçu lettre, santé excellente. Mais où est-il ? Mention : sans origine. Nous avons pleuré de joie en nous embrassant. Oh ! Comme j’ai remercié Dieu d’avoir eu pitié de moi !

Jeudi 3 septembre
Rien de nouveau.

Vendredi 4 septembre
Je ne suis pas contente. Mon Albert m’a dit à midi qu’il serait obligé de rester à Hyères parce qu’étant caporal il serait désigné pour instruire les recrues. Il a donc fait provision d’insecticide pour endormir les vilaines bêtes qui ont élu domicile dans les lits de la caserne. Voilà qui n’est pas réjouissant et lui promet de bonnes nuits. Je suis allée
Page 062 - voir mme Bargone, arrivée le matin même de Paris, pour qu’elle ait la bonté de parler au Colonel Lemerle afin de prendre Albert au bureau de la place ; réussirons-nous ?

Samedi 5 septembre
Albert n’est pas venu déjeuner, j’en suis toute triste. J’ai revu mme Bargone, elle m’enverra la réponse du colonel.

Dimanche 6 septembre
Reçu une carte de notre Petit, sans origine, il avait eu le soin de barrer au crayon encre le nom du village représenté mais avec une gomme j’ai effacé le crayon et j’ai réussi à voir Lorraine illustrée et un nom commençant en La et terminé en Ville. Un point c’est tout. Cette carte était datée du 27 août.



Page 063 - Lundi 7 septembre
Très occupée par les démarches faites pour Albert. Je viens de recevoir la réponse de mme Bargone. Papa ira demain à Hyères voir le commandant ; puissions-nous réussir !

Mardi 8 septembre
Le commandant s’est montré aimable, Albert lui écrira pour rendre ses galons et après ce sera l’affaire du colonel L.

Mercredi 9 septembre
Quelle pluie ! Véritable déluge. Nos rues vont être bien nettoyées ; les ruisseaux sont des torrents. Tout cela me fait songer à mes pauvres petits soldats qui ce soir n’auront que de la paille humide pour se reposer après une journée de fatigue. Ah quelle cruelle guerre ! tu seras cause de bien des douleurs. Que de mères et que d’épouses pleurent leurs enfants et leurs maris ; que d’orphelins appellent leurs pères !

Page 064 - Jeudi 10 septembre
Je tiens à noter un incident bien triste pour moi et tout à fait inattendu ; je n’aurais jamais cru que cela pût m’arriver, j’en suis même à me demander si je n’ai pas fait un mauvais rêve. Hier j’étais allée chez ma voisine pour lui demander des nouvelles de son fils qui a été blessé. Elle me dit : « je ne sais dans quel hôpital il a été transporté mais je ne tarderai pas à le savoir car j’ai fait une réussite et j’ai appris que j’aurai une lettre de mon fils ». Là-dessus elle insista pour qu’à mon tour je choisisse un certain nombre de cartes ; après quelques hésitations, je me décidai. Mon jeu n’était pas beau, j’avais beaucoup de piques ; elle m’annonça que j’apprendrai une triste nouvelle qui me ferait de la peine mais qui ne touchait aucun des miens,
Page 065 - puis que je serai vivement contrariée - même qu’elle prévoyait une colère et que ce que je désirais rencontrerait des difficultés. Bref j’avais totalement oublié les prédictions de mes cartes lorsque le soir j’apprends la mort du fils Caffaréna, jeune chasseur de 18 ans. En songeant à ce pauvre enfant et à la douleur de sa mère, j’ai pleuré durant toutes les prières à St Louis. Aujourd’hui, de retour de la messe tout en déjeunant, je lisais le P(etit) Mars(eillais) lorsque je vois que les ajournés, les réformés vont être appelés après      être passés de nouveau devant un Conseil de Révision. Voilà donc mon Léon exposé à être pris si un médecin l’examine d’une façon superficielle. En ce moment, sa santé est tout à fait bonne, il est guéri Dieu merci. J’en suis très heureuse mais il ne pourrait supporter les fatigues
Page 066 – de l’armée en campagne. Me voilà donc toute émue après la lecture de cet article. Léon me rassure de son mieux. Papa, tout occupé de ses plans de guerre, de sa stratégie, reçoit cette nouvelle avec une certaine indifférence qui m’étonne beaucoup. La matinée s’écoule bien tristement pour moi ; je ne pouvais arrêter mes larmes, c’était un déluge, semblable à celui de la veille. Au déjeuner,. …………… (pages arrachées)
Page 067 – Simone et mes fils ne l’ignorent pas, mais je n’en ai point parlé à mon mari et je tiens essentiellement à ce qu’il ne le sache pas.

Vendredi 11 septembre
J’ai reçu une lettre de Jojo datée du 30 août ; elle n’a mis que 13 jours, heureusement que j’avais eu un télégramme du 2 et des nouvelles indirectement par le docteur Mège.

Page 068 – Samedi 12 septembre
Rien de nouveau.


Dimanche 13 septembre
J’irai voir madame R pour lui parler d’Albert, si elle pouvait réussir !

Lundi 14 septembre
Voilà 12 jours que je n’ai pas de nouvelles. Je commence à être ennuyée.

Mardi 15 septembre
Je suis allée voir Albert à Hyères, je l’ai trouvé très perplexe sur l’issue des (...)[1] faites par mme Bergane. Il souffre davantage de son entérite. Je suis revenue très triste et j’ai bien pleuré le soir à l’église.

Mercredi 16 septembre
Quelle bonne surprise ! Ce matin au retour de la messe, au moment où j’allais
Page 069 – prendre mon chocolat, Albert est arrivé, le commandant l’avait prévenu que le général le faisait appeler à la subdivision. Le voilà casé grâce à son ami le lieutenant Le Came aide de camp du Général. Il sera secrétaire au cercle où l’on a installé des bureaux.

Jeudi 17 septembre
Mme Mège est venue elle-même m’apporter des nouvelles de Georges. Elle a reçu un télégramme, je ne m’explique pas pourquoi Geo ne m’en envoie pas.

Vendredi 18 septembre
Je suis allée voir le docteur Aubert pour nos blessés du lycée. Il nous permettra de leur porter demain des gâteaux et cigarettes.
Page 070 – J’ai reçu une lettre de Geo datée du 2 septembre, une carte du 4 et du 5. Dans sa lettre, le pauvre enfant me dit qu’il s’habitue facilement à cette existence de chemineau car il change de cantonnement très souvent, s’il n’était dévoré par la vermine en couchant dans les granges et les écuries. Lui qui prenait son tub (bain) chaque jour, et qui changeait de chemise, caleçon, chaussettes etc… chaque matin. Pauvre ! Pauvre enfant ! Et encore il faut que je m’estime bien heureuse car ce manque de propreté n’est rien encore à côté des souffrances de nos pauvres blessés. Que de tristesse Mon dieu !


Page 071 – Mardi 6 octobre
J’ai été tellement occupée avec nos soldats blessés que je n’ai pas trouvé une minute pour mon petit cahier. Nous faisons, en ce moment, des plastrons pour nos soldats d’Algérie et les troupes sénégalaises. J’ai envoyé des vêtements chauds à mon Petit. J’ai de bonnes nouvelles jusqu’à présent, que Dieu le protège toujours !

Vendredi 25 décembre 1914
Voilà près de trois mois que je n’avais plus ouvert mon petit cahier : hélas ! Malgré les soucis, les angoisses sans cesse renouvelées, le temps s’écoule sans apporter de notables améliorations ou changements à l’état actuel. C’est la guerre dans toute son horreur, c’est la guerre sans trêve, la guerre continue et dont nul ne peut prévoir la fin. Que nous sommes malheureux, Mon Dieu !
Page 072 – Le 21 au matin, Léon est passé devant le conseil de révision, je l’avais prié de venir aussitôt me donner le résultat du conseil, ayant hâte de savoir, si comme tout le faisait présager, il serait mis dans les S(ervices) auxilaires. En effet, peu après je le voir revenir avec une mine si réjouie que je lui dis en l’embrassant :
-      Je vois à ton air que je dois être contente n’est-ce-pas ? tu es dans les S(ervices) aux(ilaires)
-      Mieux que ça !
-      Réformé ?
-      Oh non !
-      Mais alors ?
-      Dans le service armé !
Je suis restée figée pendant quelques secondes ne pouvant dire un mot. Oh ! Que j’ai souffert ! Je me suis ressaisie aussitôt me disant que si mon fils affectait pour moi ce consentement, je ne devais pas lui laisser voir mon chagrin et je me suis contentée de lui dire : Promets-moi mon Petit de t’arrêter dès que tu te sentiras malade, n’en fais pas une question d’amour propre, je t’en prie.
Page 073 – Quant à son père, il s’est contenté de lui dire : « la France a besoin de tous ses enfants ! ». Deux jours après, papa recevait 2 télégrammes lui disant de partir immédiatement car sa vieille sœur (80 ans) était très malade. En effet, la pauvre femme est morte le 24, veille de Noël et les obsèques ont eu lieu aujourd’hui. Je suis allée avec Simone à la messe de minuit et aujourd’hui elle est descendue avec Odette car ses fils étaient punis à la suite d’une grosse sottise. Quelle triste fête, combien j’ai pensé à mon cher petit Geo qui, en Lorraine, se trouve seul après avoir été loin de la maison pendant 4 fêtes de Noël. Et notre cher papa ! Combien il a dû souffrir d’être loin de nous et de perdre cette sœur qu’il aimait tant. Mon Dieu, je vous en prie, que toutes nos tristesses se terminent avec cette année 1914 !

Page 074 – 21 février 1915
Il est parti, mon Léon, mon Petit ! Cet après-midi à 2h. Son père et son frère l’ont accompagné et je suis restée seule à la maison le cœur meurtri, déchiré, sanglotant, criant, hurlant, pourrais-je dire, demandant à Dieu d’avoir pitié de moi et à sa Ste Mère de veiller sur mon enfant, de le protéger. J’avais, le matin, fait la communion afin d’avoir le courage de supporter cette épreuve, la plus cruelle qui soit imposée à une mère. N’est-ce pas inhumain de m’avoir enlevé cet enfant que j’ai tant soigné ? J’ai peur pour lui ; il ne pourra jamais supporter les fatigues du régiment, bien qu’il soit plein de bonne volonté et très fier d’être militaire et de se rendre utile à son pays. Mon Dieu, Mon Dieu, veillez sur lui et ayez pitié de sa pauvre mère.

Page 075 – 15 avril 1915
Voilà près de deux mois que je n’avais pris mon petit cahier et cependant j’ai pas mal de choses à noter. D’abord mon Léon à la caserne de Lyon dans un lycée moderne près du parc de la Tête d’Or, en face de la gare des Brotteaux, enchanté d’être soldat et surtout d’être à Lyon, hélas trop peu de temps, au bout de 12 jours, envoyé à Nyons (Drôme) un trou de 3 mille habitants, ils sont environ 4 mille hommes répartis dans les écuries, remises, étables, quelle horreur ! Je les ai vus ces bons soldats couchés sur leur sac de paille, car le 20 mars, je suis allée avec mon mari passer 4 jours auprès de notre cher enfant. J’ai eu le bonheur de le trouver en bonne santé, très résigné, mais vêtu comme un mendiant ; capote percée de trous de balles, pantalon velours gris sur lequel avait déteint un pantalon toile bleue ; sa capote était courte, étriquée. Mon fils, si élégant en temps ordinaire était grotesque mais il n’avait pas l’air de s’en soucier, il acceptait tout avec philosophie.
Page 076 – Peu de jours après l’avoir quitté, il nous apprend qu’il est reçu à l’examen d’élève Officier ! le voilà donc à st Maixent depuis le 10. Nous sommes heureux car il est à l’école pour 3 ou 4 mois et alors…. La guerre…. Je n’ose trop l’espérer,… mais si elle pouvait toucher à sa fin, Mon Dieu, exhaussez-nous.
Mon Geo nous a écrit il y a 8 jours qu’il avait une crise de paludisme assez forte puisque le major a demandé une consultation et a fait faire l’analyse de son sang et des urines. Il m’assure qu’en ce moment il va mieux mais n’a pas quitté l’infirmerie. Pauvre Petit, je me doutais bien qu’il était malade, j’en avais l’intuition, est-ce qu’une mère ne le devine pas, ne le sent pas à ce que je ne sais quoi de mystérieux de cette angoisse qu’elle éprouve comme à l’approche d’une attristante nouvelle qu’on redoute mais qui est inévitable. C’est cette anxiété qui
Page 077 – m’a torturée pendant les dix jours où je suis restée sans nouvelles : une carte écrite d’une main tremblante, le pauvre chéri était en proie à une forte fièvre, puis un télégramme envoyé par un camarade qui avait maladroitement signé G. Taj. Alors que mon Petit ne signe que son prénom. Tous ces indices ajoutés à des cauchemars horribles ne présageaient rien de bon. Ah ! Si je pouvais aller l’embrasser ce cher enfant, comme je serais heureuse !
Léon a été reçu élève officier, il est entré à St Maixent le 10 avril 1915.
Léon a quitté St Maixent le 10 août ; il a été reçu aspirant, est venu en permission le 14 août et reparti le 20 août à son dépôt à Lyon. Il en est reparti le 24 pour un régiment d’infanterie alpine, il est près de Paris. Où ? Un trou près d’Aubigny. Je ne sais où se trouve Aubigny. Mon Dieu ! Protégez-le !



Page 078 – 13 septembre 1915
Mon Léon m’écrit qu’il est évacué dans un hôpital de l’intérieur parce qu’il s’est fait une entorse. Me dit-il exactement la vérité ? Ne me cache-t-il rien ? Qu’il me tarde de savoir si cette entorse est grave !

9 octobre
Je viens d’apprendre par une carte d’un ami de mon fils que mon cher enfant avait été blessé ; j’ignorais qu’il fût dans les tranchées. C’est pourquoi l’entorse était en somme un prétexte très vraisemblable ; mon entourage m’a caché jusqu’à l’arrivée le véritable motif d’évacuation au Havre d’abord puis à Fécamp et à Evreux.
De même mon petit Geo a été évacué de Bar à Carcassonne pour la fièvre typhoïde le 1er septembre. Je l’ai encore ignoré, ayant été moi-même malade pendant 2 mois ; on a
Page 079 – tenu à me ménager et c’est mon cher Albert qui a eu toutes les préoccupations, tous les soucis pour ses frères. Léon est arrivé lundi 11 octobre à 10h47 et mon Geo jeudi 21 octobre à 6h du matin. Combien je remercie la Vierge d’avoir protégé mes chers Petits !

23 décembre 1915
Ce soir à 9h mon cher Léon nous a quittés pour la 2ème fois, quelle tristesse angoissante que ces départs pour le terrible inconnu. J’ai eu à peine le temps d’embrasser mon enfant chéri, les quais de la gare étaient encombrés par tous les permissionnaires de la Noël ; Léon courait d’un train à l’autre pour trouver une place grâce à Félix qui s’est fait ouvrir une voiture de 1ère classe,
Page 080 – censé pour lui, mon enfant chéri a pu, grâce à ce subterfuge, avoir une bonne place qu’il a conservée jusqu’à Chambéry : une fois entré, l’employé s’est empressé de refermer à clé la voiture et je n’avais pas encore embrassé mon Petit, pensant qu’il pouvait redescendre une fois sa place retenue. Jojo m’a hissée comme il a pu vers Léon qui s’est penché et j’ai pu, à la volée, l’embrasser très vite, alors que j’aurais voulu retenir ce train qui emportait mon enfant bien-aimé ; je l’ai regardé jusqu’à la fin, lui envoyant le plus tendre baiser ; je ne pleurais pas, mais j’avais le cœur brisé, murmurant tout bas Mon Dieu ! Protégez-le, Mon Dieu rendez-moi mon enfant !
Loin des regards de mon fils, j’ai pu enfin pleurer en rentrant à la maison, accompagnée de papa, Félix et Jojo.

Page 081 – Janvier 2016
Les jours qui suivront ce départ furent durs car mon Léon m’écrivait chaque jour et ses lettres étaient si réconfortantes, me faisant espérer qu’il viendrait en permission avant d’aller à Donzère dans la Drôme. Hélas pauvre chéri ! Ce qu’il devait souffrir en me faisant ce pieux mensonge lui qui savait dès le 1er jour de son arrivée qu’il devait partir sur le front après la dernière piqûre du vaccin contre la typhoïde. J’avais, par mégarde, ouvert une lettre qu’il adressait à Jojo, là il ne prenait aucun détour pour se plaindre de cette brute de commandant du Dépôt qui le faisait partir avant son tour en dépit des circulaires du Général Galliéni ; c’est odieux, c’est révoltant. Mon mari avait écrit à ce Commandant pour lui demander 48h de plus de permission pour la Noël ; le mal élevé n’a même pas répondu. Nous avons envoyé un télégramme avec réponse payée : la réponse était un refus. Pouvions-nous
Page 082 – supposer que ce personnage ferait supporter à ce cher Petit la demande de mon mari ? Comme je souffre en me rappelant ce que disait cet enfant : n’écrivez-pas ; cela pourrait indisposer le commandant contre moi, et c’est sur l’instance de tous qu’il nous a permis de le faire. Pardonne-nous mon enfant chéri ! C’est pour nous que tu souffres actuellement et c’est bien cette pensée là qui me rend si malheureuse. Je ne m’en consolerai jamais. Pardon, pardon mon Petit que j’aime tant, toi qui es si bon pour ta mère, toi as toujours évité de me faire connaître que tu avais été blessé ; c’est toujours dans cette même intention pour m’éviter du chagrin, que tu as combiné cette histoire consistant à me faire croire que tu partais à l’arrière du front pour compléter les cadres de la classe 16. Je veux, chéri, te le laisser croire ! Non jamais tu ne sauras ce que je souffre et la crise que j’ai eue à la nouvelle de ton départ.
Georges nous a quittés le 5 janvier pour Marseille et de là pour Nîmes au 38e d’Artillerie.

Février 1916
Geo nous a demandé à partir pour le front avec Maurice et le 11 il est venu en permission de 3 jours ;  il nous a quittés dimanche 13 pour Nîmes, encore une soirée d’émotions et de tristesse, cela ne finira donc pas ? Les enfants ont quitté Nîmes le 16 février. Que Dieu les accompagne.




[1] Mot illisible




Encore un grand merci à Coco qui a réalisé tout le travail de transcription !

Retrouvez :
- la généalogie de Léontine DUPUY sur mon arbre en ligne sur Geneanet en cliquant ICI 
- le récit de la vie de son fils Léon ICI,
- le récit de la vie de son fils Georges ICI,
- et le récit de la vie de son fils Albert mon arrière-grand-père ICI


FIN.

3 commentaires:

  1. Ce récit haletant s’avère terriblement captivant. Je m’identifie totalement à Léontine, je n’imaginerais pas voir partir mon fils à la guerre.
    Dis-nous vite si ses fils sont revenus vivants et sans trop de blessures physiques.

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    1. Chère Marie, j'ai rajouté quelques liens à la fin de l'article pour indiquer les articles concernant la vie des 3 frères ! Bonne lecture !

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  2. quelle émotion en relisant les lignes de ce journal. c'est superbement écrit. merci Marine, et j'ai pu repasser tranquillement sur la vie des trois frères Tajasque. on oublie le mauvais temps en lisant tout ceci.

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