vendredi 28 juin 2013

#Geneatheme : Rencontre et mariage sous l'Occupation



Après le #ChallengeAZ du mois d’avril 2013, Sophie Boudarel nous propose d'animer nos blogs autour d'un thème mensuel.
Découvrez le programme sur La Gazette des ancêtres



Juin : Le Mariage
Vous êtes en possession d'une photo de mariage, d'un faire-part ou d'un menu ? Présentez-le. Profitez-en pour vérifier que toutes les recherches sur les mariés sont à jour et contez leur histoire...
 

1943, Paris.

Pierre a 29 ans. Il est né le 29 septembre 1912 à Courbevoie (92) dans la banlieue de Paris.
Il est le 2ème enfant de Gustave FERRON et de Berthe MARIE qui tiennent une huilerie à Courbevoie (huiles et graisses industrielles).

Pierre a passé son bac en juillet 1930. Il a fait un an à la fac de droit de Paris et est ensuite entré à l'Ecole HEC - des Hautes Etudes Commerciales - dont il a obtenu le diplôme en juillet 1933.
En octobre de la même année, il est appelé sous les drapeaux pour un an. Quelques mois après son retour, en février 1935, il entre à l'usine OLIDA de Levallois Perret (92) où il est employé en tant que chef de service et où il deviendra plus tard sous-directeur.

Affiche publicitaire pour les jambons et conserves OLIDA

Quand la France entre en guerre en 1939, il est mobilisé et part le 3 septembre. Il sera affecté au 306 RI - 7e compagnie où il sera promu sergent.
Je ne connais pas tout de son parcours durant la guerre (en cours d’investigation) mais l’histoire familiale veut qu’il ait été enrôlé pour raison disciplinaire dans les corps-francs.
Serait-ce dû à son caractère déjà « marqué » ?
 
Je sais néanmoins qu'il sera fait prisonnier par les Allemands et envoyé dans le Front Stalag 192 LA FERE qui est un camp de prisonniers installé dans le département de l'Aisne (Picardie).
J'ai retrouvé une attestation signée du commandant du camp et datée du 29 juillet 1941, autorisant le prisonnier Pierre FERRON, travaillant dans l'industrie alimentaire, à quitter le camp de prisonniers pour reprendre son activité civile.
Est-ce parce qu'il avait un poste important à l'usine qu'il a été libéré ?
 
En tout cas, il est à Paris en ce début du mois d'octobre 1943.
Il est venu apporter quelques conserves à une lointaine tante, Nathalie ROUSSEAU ép CARRE qui habite au 271 Rue Saint Jacques, logée dans un immeuble appartenant à la famille, et donc très proche des FERRON : elle connait Pierre depuis sa naissance.


Arbre de parenté de Gustave FERRON (père de Pierre) et de Nathalie ROUSSEAU

Chez "Tante Nathalie", il va rencontrer ce jour-là Maryvonne que "Tante Nathalie" a accepté d'héberger.
C'est une jeune femme d'une vingtaine d'années. Elle vient de Concarneau dans le Finistère (29) où elle est née le 28 décembre 1923.
Elle est la fille de Victoria YVONNO, directrice d'école à Rosporden (29) et de Louis ALLAIN qui se sépareront quelques mois après sa naissance et dont le divorce sera officialisé en 1925.
Sa mère s'est remariée depuis à Henri MASSON en 1932.

Elle est montée à la capitale afin de poursuivre ses études et devenir assistante sociale ; du moins c'est ce que croit sa mère qui la contraint dans cette voie mais à la vérité elle compte bien s'inscrire à la faculté de médecine !

Elle fait partie des rares jeunes femmes qui ont passé leur baccalauréat, surtout en cette période de guerre... Elle l'a obtenu en juillet 1941.
Elle a ensuite passé le certificat d'études comptables en mai 1942 avant de travailler environ un an à la Banque de France, d'abord à Quimper, puis du fait des bombardements, à Vannes.

Maryvonne aussi est une nièce de la "Tante Nathalie".

Arbre de parenté de Victoria YVONNO (mère de Maryvonne) et de Nathalie ROUSSEAU

Ils se plaisent...  se revoient plusieurs fois...
Ils se retrouvent après le travail à l'usine pour Pierre et les cours pour Maryvonne.
Ils se promènent à Paris, dînent ensemble et bavardent...
Il l'emmène au théâtre Marigny voir une pièce "un peu usée mais que le talent des acteurs rend encore fort supportable" (ses propres mots dans une lettre adressée à Maryvonne)
...et tombent amoureux.


Mais c'est la guerre.  Et le temps manque pour faire la cour....
Pierre et Maryvonne souhaitent se marier.

Maryvonne va écrire à sa mère Victoria et à son beau-père Henri MASSON afin de les informer de leur projet.




"Samedi soir 9 heures

Chers Pa-Man


     Cette lettre que je commence est bien la plus difficile à écrire que j'ai jamais faite, la plus difficile c'est vrai mais aussi la plus joyeuse. C'est fou ce que j'aimerai être mouche pour assister aux exclamations qui ne vont pas manquer de saluer sa lecture. Du reste voici sans plus tarder ce dont il s'agit : j'aime Pierre FERRON, il m'aime et nous nous considérerons comme fiancés dès que votre assentiment nous sera parvenu...

J'espère que vous ne mettrez pas ombrage à nos projets, je le souhaite de tout cœur. Pierre a 31 ans, j'en aurai 20 dans 2 mois. Il est sous-directeur de l'usine Olida de Levallois. Je vous ai déjà un peu parlé de lui puisque nous sommes sortis ensemble. Il est plein de raison et de sagesse. Je crois que personne ne pourra dire le contraire. Il a mis ce matin ses parents au courant de notre décision. Mme Ferron me connait mais elle ignorait que Pierre et moi nous rencontrions. Je vous ai dit je crois comment je l'ai vue une 1ere fois chez tante Nathalie"

"il y a aujourd'hui 1 mois. Depuis nous avons eu vocation de nous mieux connaitre et nous sommes archi sûrs l'un et l'autre de nos sentiments.
     Plus ne serait donc question pour moi de poursuivre mes études d'assistante sociale (Tiens, à ce propos, j'ai passé hier et aujourd'hui le fameux examen probatoire et en dépit de mes préoccupations... sentimentales il a bien marché. Nous aurons les résultats mardi. Mercredi je commence un stage d'1 mois dans une maternité et ceci ne me déplait pas du tout). Nous avons en effet l'intention de nous marier le plus tôt possible, à la Noël par exemple lors de mes 20 ans. Nous pensons qu'il serait inutile de faire traîner les choses. N'êtes-vous pas de cet avis ? Pierre étant déjà installé, beaucoup de questions sont de ce fait simplifiées. Il n'en reste pas moins sans doute qu'il me faudrait aller à Conc(arneau) quelques temps ? Je suppose aussi que vous aurez le désir de connaitre Pierre. Comment concilier et arranger tout cela dans le plus bref délai ?
     Nous allons attendre impatiemment votre réponse.
Je sais, je me doute un peu de l'étonnement qui va être le vôtre, de l'affolement de Maman peut-être... Dites vous bien que j'ai pesé, réfléchi, et que ma décision est fixée. Je vous supplie de ne pas trop tarder à nous répondre ! Je regrette décidément bien fort de ne pas pouvoir vous dire tout cela de vive voix. Ce serait tellement plus simple !

Baisers.


Maryvonne".




Pierre va quelques jours plus tard demander sa main à la mère de Maryvonne.
Il le fera par écrit dans une lettre qui a traversé le temps alors qu'il n'a jamais rencontré sa future belle-mère.



 "Paris le 6 novembre 1943.

     Madame,


     Ai-je besoin de me présenter ? Maryvonne vous a sans doute tracé mon portrait physique et moral. Mais peut-être me voit-elle avec des yeux très bienveillants, aussi j'espère que les quelques lignes sincères que je vous adresse aujourd'hui ne changeront pas trop l'opinion que vous avez déjà de moi.

    Me voici donc prétendant à la main de votre fille, et si notre cœur nous a conduit là, je ne voudrais pas que vous pensiez que le peu de raison qui nous reste en pareil cas puisse s'y opposer en quoique ce soit.
    Ce qui vous a peut-être surpris le plus dans notre décision c'est notre volonté de la réaliser rapidement. Dois-je dire que je compte trouver auprès de Maryvonne un solide appui moral et spirituel ? Nous fonderons j'en suis certain un foyer ardent et sain dans lequel nous nous réconforterons pour passer des jours difficiles. Aussi serait-ce un non sens d'attendre un temps plus clément pour nous unir.
     Ma situation matérielle si elle n'est pas magnifique est du moins convenable. Je vous en parlerai plus précisément de vive voix mais sans doute connaissez vous Olida de réputation. C'est une grosse maison un peu administrative où"

"une situation est stable si elle n'est pas excessivement lucrative. Nommé sous directeur de l'usine de Levallois en janvier dernier, je compte sur un avenir qui me permettra d'assurer à Maryvonne un standing honorable.
    Je regrette de vous paraître un peu désinvolte, ne pouvant respecter les traditions d'usage dans ces circonstances. Mon Dieu j'estime qu'à une époque aussi troublée que la nôtre il faut pour assurer son bonheur trouver des solutions en dehors des voies habituelles, ce qui ne nuit en rien aux sentiments profonds qui nous conduisent. J'aurais voulu vous connaître, vous dire ma déférence. Je crois qu'il me sera permis de le faire bientôt si je puis obtenir un laissez passez pour Concarneau.
    Par ailleurs mes parents qui connaitrons Maryvonne demain paraissent déjà sur mes dires enchantés de notre projet. Je pense qu'ils vous écriront bientôt.
    Pour moi, avec un peu d'inquiétude en attendant votre réponse, je suis respectueusement votre dévoué et déjà affectueux

Pierre FERRON"



Victoria accordera sa bénédiction quelques jours plus tard, elle aussi par écrit.



"Concarneau, le 10 novembre 1943

     Monsieur,
     C'est avec une surprise mêlée d'inquiétude que nous avons d'abord accueilli la lettre de Maryvonne nous annonçant la décision que vous veniez de prendre tous deux.
     Maryvonne est jeune et nous n'avions certes jamais pensé la voir se marier si tôt.
Elle ne sait rien de la vie, mais elle est pleine de confiance et d'enthousiasme et c'est pour cela que je me suis inquiétée de ses projets si brusquement arrêtés.
     Cependant, je dois vous le dire, mon anxiété a été de courte durée car elle a su si bien plaider sa cause et nous persuader des sentiments profonds qui vous unissaient que nous avons dû nous rendre à l'évidence.
     Nous ne demandons que son bonheur. Le portrait qu'elle fait de vous et les sentiments dont témoigne votre lettre nous rassurent. Nous vous faisons confiance"

"et nous sommes aussi persuadés qu'elle n'aura d'autre souci que de vous rendre heureux.
     Nous pensons que vous avez sans doute raison de ne pas vouloir attendre plus longtemps la réalisation de vos projets. Si nous vivons en effet des jours difficiles, une affection partagée permet de les supporter plus aisément.
     Maryvonne a dû vous mettre au courant de notre situation matérielle et je pense que votre famille en est aussi avisée. Nous serons heureux de connaître l'accueil qu'ils ont fait à vos projets d'union.
     Pour nous, nous serons heureux de vous compter au nombre de nos enfants et en attendant de faire très bientôt votre connaissance nous vous adressons mon mari et moi nos sentiments bien affectueux.

Victoria Masson"




Le lendemain du jour où la mère de Maryvonne écrivaient ces lignes, elle reçu une lettre des parents de son futur gendre confirmant leur approbation au mariage.






"Courbevoie 9 novembre 1943

Chère Madame,


nous avons eu le bonheur hier dimanche de connaitre votre jeune fille Maryvonne qui est venue déjeuner avec notre fils Pierre.

Par eux et notre cousine Nathalie vous avez dû être informée des projets que forment nos jeunes gens et qui aboutissent à une union que de notre côté nous envisageons de tout coeur si vous donnez comme Maryvonne l'a confirmé à Pierre votre consentement à ce mariage.
Tous les deux avaient"

"l'intention de partir fin de cette semaine à Concarneau afin de causer de vive voix de leurs projets mais à la Préfecture de Police de la Seine, l'anicroche s'est produite impossible comme pour nous mêmes d'obtenir un laisser passer pour la région côtière.

Que faire à moins que de renverser les rôles et que nous nous rencontrions à Paris afin d'arrêter définitivement date et formalités concernant ce mariage.
Comme Nathalie nous en a parlé plusieurs fois, nous nous trouverons en famille et vous nous ferez un réel plaisir en descendant chez nous où nous pourrons faire plus ample connaissance.
Nous espérons que Monsieur Masson vous accompagnera et dans l'attente de votre acceptation, nous vous prions d'agréer Chère Madame ainsi que pour tous les vôtres nos respectueuses amitiés.

Gustave FERRON

59 boulevard Saint Denis
Courbevoie Seine"




C'est ainsi que les bancs sont publiés et les faire-part imprimés.

Faire-part de mariage de Maryvonne ALLAIN et Pierre FERRON
Faire-part de mariage de Maryvonne ALLAIN et Pierre FERRON


Bien que la Bretagne fasse partie de la zone occupée dès l'armistice du 22 juin 1940, et ce jusqu'en août 1944, le mariage aura lieu 1 mois et demi plus tard dans le village natal de la mariée à Concarneau dans le Finistère (29).


C'est donc le 28 décembre 1943, soit le jour des 20 ans de "la petite Maryvonne" qu'ils se disent oui dans l’Église Saint Cœur de Marie, construite en 1912 en plein centre-ville.


L’Église Saint Cœur de Marie qui fût fermée après la grande tempête de 1987 car déclarée dangereuse, a été démolie en 1995 et remplacée par l’Église Saint Guénolé, consacrée en 1996


Je n'ai pas trouvé pour l'instant de photo de ce mariage (Oncles, Tantes, Cousins, Cousines, à vos greniers !) mais le cliché ci-dessous doit sûrement dater de cette époque.


Maryvonne ALLAIN et Pierre FERRON vers 1943 dans le jardin du "Bercail" à Concarneau (29)

Lors de leur mariage, le prêtre leur a remis un livret de famille catholique, qu'ils feront remplir au baptême des 3 enfants qu'ils auront ensemble : Michel en 1944, Alain en 1946 et François en 1950.

Livret de famille catholique de Pierre FERRON et Maryvonne ALLAIN



C'étaient mes grands-parents...
Qu'ils restent dans nos cœurs à jamais.

Maryvonne et Pierre FERRON en 1959




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10 commentaires:

  1. Merci Marine pour ce témoignage poignant et bravo pour le travail de recherche.

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  2. Cet article est passionnant par la profondeur que donnent les documents présentés.
    Mes grands-parents se sont aussi mariés à cette époque et votre billet m'a convaincu de rechercher plus d'éléments sur leur mariage.

    Je le partage...

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    1. Bonjour Yves, et merci pour votre commentaire qui me conforte dans l'idée du partage ! C'était un vrai bonheur de découvrir la vie des mes grands-parents au moment de leur rencontre et de pouvoir la reconstruire à partir d'éléments trouvés ici et là...
      Je me sens très chanceuse d'avoir ces documents.
      A bientôt !

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  3. Petite cachotière : je ne savais pas que tu avais tous ces documents en ta possession.
    Bel article :-) Merci Soeurette. A quand le prochain ??

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    1. Je ne savais pas moi-même que j'avais tout cela ! C'est le défi du généathème qui m'a fait ouvrir la boite de Pandore car je cherchais des informations sur notre arrière grand-mère ! Finalement, en voyant tous ces documents sur nos grands-parents, je me suis dit que finalement, ce serait bien de commencer par là. Belle surprise, non ?

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  4. C'est mieux qu'un compte de fée et j'aime les échanges de lettres, ça remet dans le contexte de l'époque et montrent comment les gens s'inquiétaient du futur des futurs, la lettre de Victoria Masson en dit long.

    Bel article !

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  5. Oui, je me sens très chanceuse d'avoir découvert ces lettres... et suis heureuse d'avoir pu partager cela, notamment avec ma famille !
    Car même si on connaît un peu la légende familiale, on ne sais pas tout !

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  6. Magnifique page ! Savourez la chance que vous avez de posséder un tel échange de belles lettres...
    Sidonie

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  7. un très beau moment de lecture où l'on sent la ferveur des 2 jeunes autant que le plaisir non moins goûté des parents respectifs. signé une Concarnoise

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  8. Bonjour c'est super les renseignements merci moi j'en ai une j'aimerais bien la vendre elle est neuve

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